Aenor
" Je te préviens Aenor : Tu n'as pas intérêt à faire n'importe quoi cette fois. Un redoublement c'est largement assez ! " m'avertie sévèrement Tante Jeanne alors que notre voiture quitte la ville pour s'aventurer dans une épaisse forêt.
Je soupire mais ne répond pas. J'en est marre qu'elle me reparle de cette histoire. Et puis je n'y étais pour rien !
" Arrête de soupirer, jeune fille ! S'énerve-t-elle. Si tu crois que je vais te laisser foutre cette deuxième chance en l'air, tu te trompes lourdement ! Hors de question que tu recommences comme l'an dernier. C'est clair ? "
Je souffle avec énervement devant tant de reproches.
"- C'était pas de ma faute ! J'y peux rien si les profs m'ont saqué toute l'année !
- Arrête ça tout de suite ! Et remets toi en question au lieu d'accuser les autres de ton échec scolaire !
- Mais c'est vrai ! C'est pas ma faute si la prof de maths était une grosse espéciste !
- Aenor ! hurle ma tante choquée, Je t'interdis d'insulter tes professeurs !
- Mais...
- Silence ! Me coupe-t-elle sèchement dans mes protestations. Tu vas me passer cette année sagement, sans catastrophe, sans problème de comportement et tu passeras en terminale avec les félicitations ! C'est clair ?"
Je me recroqueville sur mon siège, penaude. Son ton est si froid et autoritaire que je ne peux que bredouiller un "oui" misérable. Tante Jeanne soupire et marmonne quelque chose au sujet de mon père et le fait qu'il se soit sauvé comme un voleur en lui laissant une gamine intenable sur le dos. Le tout en des termes bien moins élogieux, évidement. Cette remarque me fait grimacer : elle imagine réellement mon père capable de m'abandonner sans raison ? Cependant je me tais, prudente. Même si elle est la sœur de ma mère, il y a des secrets que je ne peux révéler à personne. Et d'un autre coté, je peux la comprendre, ça ne doit pas être facile pour une humaine de s'occuper d'un sorcière, surtout aussi maladroite que moi.
La voiture s’arrête finalement sur un vaste parking en terre, me tirant de mes pensées. Je regarde autour de moi. De nombreux véhicules sont déjà garés et de nombreux lycéens se dirigent vers ce qui semble être un portail. Certains sont seuls, mais d'autres sont accompagnés de leurs parents. Je remarque d’ailleurs une famille de centaures au grands complet. Le top de la discrétion... Un peu plus loin, un chauffeur de taxi est occupé à asperger le siège passager avec une bombe d’insecticide anti-puces.
"Tu es sûre que tu ne veux pas que je t’accompagne ?"
Je me tourne vers ma tante qui semble plutôt inquiète. Je lui lance un sourire rassurant.
"Non c'est bon, t'inquiète, je vais me débrouiller. Et puis j'ai 17 ans. Ce serait un peut la honte de venir accompagnée.
- Merci bien... Proteste-t-elle d'un ton faussement vexé. Sors tout de suite de cette voiture, petite ingrate !"
Je souris. Jeanne a beau être sévère et râleuse, elle peut être sympa par moment. Je prend une profonde inspiration et sors du véhicule, suivie de ma tante qui m'aide à sortir mes valises du coffre. Un panneau indique l'endroit où nous devons les déposer afin qu'elles soient amenées à nos chambres respectives. Je commence à me diriger dans cette direction quand ma tante me retient pour me serrer dans ses bras. Je suis surprise : elle n'est pas si démonstrative d'habitude. Et gênée aussi. Ce n'est pas comme si nous nous trouvions en plein milieu d'un parking rempli de lycéens... dont sûrement quelques uns de mes camarades de classe !! Je me défais de son étreinte en grommelant. Étrangement, elle ne réagit pas et se contente de me conseiller de faire attention. Totalement ahurie par son comportement étrange, je me contente de marmonner un "Bien sûr..." qui l'aurait fait hurlé en temps normal avant de m'éloigner.
C'est seulement alors que je déposes mes deux sacs sur le tas de bagage que je me rend compte que c'est la première fois que quelqu'un me sert dans ses bras depuis bientôt un an.
***
Je stresse à mort. Il faut dire que je fais face à un château, du style Versailles miniature (Je crois que les prospectus disaient qu'il datait de la Renaissance...). Tout autour, s'étend un immense parc avec bosquets fleuris, arbres gigantesques et fontaines sculptées... la totale quoi. Et ils appellent ça un lycée !! Avec un décor pareil, pas étonnant que j'ai le trac ! Prenant une profonde inspiration, je franchis l’impressionnant portail orné de lions rugissants (les décorateurs en ont peut-être fait un peu trop...) en adressant un sourire lumineux à tous mes nouveaux camarades, même si le stress me ronge le ventre. Partout dans la cour des petits groupes se forment déjà et je commence à craindre d'être la seule nouvelle... L'HORREUR !
J'aperçois soudain une fille (je crois...) seule sous un grand
chêne, occupée à écouter de la musique. Je m’approche d'elle en
souriant.
" Salut ! Je m'exclame, Tu es nouvelle toi
aussi ? "
Aucune réaction. Je continue malgré tout :
" Je suis en première, mais je viens de
changer de lycée, alors évidement je ne connais personne... Et toi
tu es en qu'elle classe ? Tu as déménagé aussi ? "
La fille continue à fixer le portail d'un air
absent. Et m'ignore totalement.
" Hé ! tu pourrais répondre quand je te
parle, espèce de sale gneue impolie ! Je suis pas invisible ! OK
? " Je me plante devant elle et m'agite dans tous les sens pour
illustrer mes propos (ou plutôt mes cris).
La fille me regarde – ENFIN ! - avec de
grands yeux ahuris... comme toutes les personnes présentes. Et
merde... Même pas cinq minutes que je suis là et je passe déjà
pour une cinglée hystérique... Je crois que j'ai battu mon record
(ma rentrée de seconde, où j'ai voulu rejoindre une amie au bout du self, de façon un
peu trop enthousiaste, avant de m'entraver dans une chaise et de m'étaler lamentablement par terre, renversant mon plateau sur ma prof
de maths qui passait malencontreusement par là...).
Histoire de ne pas
me ridiculiser davantage, je prends un air vexé, tourne le dos à
l'impolie et m'éloigne dignement. Malgré tout, les regards moqueurs
ne me quittent pas. Je décide donc de fuir lâchement en me
dirigeant vers la porte du château. Juste au-dessus de celle-ci, un
bel écriteau calligraphié me fait oublier ma honte un instant :
"Lycée de l'Antique Mystère", Sérieusement ? Là ils en font vraiment TROP!
Je m'approche d'un grand panneau au milieu du hall où sont affichés les listes de chaque classe. Je trouve facilement la mienne (la seule pour les 1ère S). A coté du nom de chaque élève est écrit l'espèce à laquelle il appartient. Je suis donc avec une vampire, deux loups garous, une neko et un dragon. Trop cool. Moi qui avait peur de ne me retrouver qu'avec des humains chiants et espècistes, je vais pouvoir me faire au moins quatre amis ! Quoique les loups-garous et les vampires ne s'aiment pas trop (comme quoi l'espècisme n'est pas propre aux humains...) mais au pire, j'arriverais bien à m'entendre avec l'un des quatre... Un groupe de filles apparaît à coté de moi et jette un coup d’œil à la liste.
"Oh putain ! s'exclame une grande brune, visiblement la meneuse, J'y crois pas qu'ils nous ont mis avec des putains de monstres !"
J'espère juste que ce n'est pas de moi qu'elle parle cette conne. Sinon elle ferait mieux de vérifier le contenu de son verre au prochain repas, parce que là, je suis en train de trouver une cobaye idéale pour mes potions ( la dernière fois, j'ai accidentellement provoqué une calvitie chez une de ces pestes. A la base c'était un somnifère mais bon...). Une autre fille, sa clone en plus petite et plus moche, l'interroge.
"Vas-y Amanda, j'vois rien ! Tu peux pas m'dire c'est quoi qu'on va devoir se taper comme saloperies ?"
Des cours de français sûrement, parce que, là, t'en a vraiment besoin.
"Attends, je regarde... Deux caniches sur pattes, une saleté de chat noir , une suceuse de sang, un putain de serpent et une de ces sales sorcières de merde."
Ah, si elle parle bien de moi... Amanda, tu peux dire au revoir à tes "magnifiques" cheveux à moitié cramés par le lisseur et déjà gras comme pas possible (quoique, ce n'est pas non plus une grande perte). Les filles à coté d'elle font une grimace de dégoût.
"L'HORREUR ! S'exclame la naine, On peut pas demander à changer de classe ?
- Ça va être galère, y a qu'une seule première S..., répond une autre, une espèce de pouffe blonde trop maquillée, déçue.
- Génial... En tout cas je les laisse pas s'approcher. Surtout la vampire c'est des putains de saloperie ces trucs-là ! Tu les laisses faire et ils te vident de ton sang, comme ça, putain, en cinq minutes ! s'écrit Amanda."
C'est moi, ou t'es incapable de faire une phrase sans sortir un "putain"?
"Et la sorcière aussi, je veux pas qu'elle me refile ses verrues !" continue la petite moche - elle je lui ferais une potion spéciale Visage-couvert-de-pustules-dégueulasses, comme ça son physique sera plus en accord avec l'animal qui lui ressemble le plus, le crapaud !
-Et un lézard sérieux ! gémit la blondasse, j'l'imagine déjà, avec ses écailles et tout, en train de nous fixer avec ses yeux flippants...
-Heureusement que c'est l'seul mec, putains... A ce qui parait ces loups-garous c'est comme des putains d'animaux, ça saute sur tout ce qui bouge, surtout les mâles.
- Sérieux ! C'est vraiment dégueulasse ! On devrait les enfermer, le monde se porterait mieux...
C'est toi qu'on devrais enfermer plutôt, ça nous éviterais de t’entendre raconter des conneries !
- Ouai. Dans un putain de zoo, après tout c'est leur place ! s'écrit Amanda-la-putain (bah quoi ?) visiblement fière d'elle.
Là c'est trop. Je ne peux pas en supporter plus. Je me retourne vers elles avec un grand sourire hypocrite sur le visage.
"Salut ! Vous êtes en 1ère vous aussi ?
- Oui répond Amanda-la-chieuse avec un sourire aussi naturel qu'une pub Colgate, les dents jaunasses en plus, en me serrant la main. Je suis Amanda Chabot. Et voici Elisa et Flavie."
Elle me désigne successivement le peau de peinture blond et la naine brune qui me serrent la main chacune à leur tour.
"Moi c'est Aénor Howl." Je leur répond en guettant leur réaction, qui ne tarde pas à arriver. Le sourire d'Amanda et Elisa se crispe et se décompose lorsqu'elles réalisent à qui elles ont affaire. Visiblement un peu plus longue à la détente, Flavie-le-crapaud continue de me regarder avec son sourire niais sans lâcher ma main. Elle me fait presque pitié, alors je décide de lui donner un coup de pouce. Je me penche vers elle avec un sourire sadique.
"Désolée, tu vas avoir des boutons."
Puis je lâche sa main et m'éloigne sans leur accorder un regard. J'entend un gémissement dégoutté derrière moi, signe que l'information est enfin parvenue au cerveau de Flavie.
Je me dirige vers la salle où ma classe doit se regrouper. L'année commence vraiment bien. Je me suis prise le vent du siècle, me suis ridiculisée en publique et dois partager ma classe avec trois grosses connasses espécistes ! Je croise les doigts en espérant que la suite se passe mieux. Une autre fille attend déjà devant la porte. Elle se tient bien droite dans un coin et lit un gros livre. Elle ne lève pas les yeux quand je m'installe à côté d'elle. Ayant bien retenue la leçon du vent monumentale que je me suis prise dans la cour, je décide de tenter une approche plus subtile. J'essaie de jeter un coup d’œil discret à la couverture du roman. Avec un peu de chance, je l'ai déjà lu et ça nous fera un sujet de conversation. Cependant, elle se décale, ne me laissant ni le temps de lire le titre, ni celui de reconnaître l'illustration. Sympa...
Je tente à nouveau de jeter un coup d’œil et me penche vers elle. Je marche par le même occasion sur mon propre lacet, ce qui a pour conséquence de me faire trébucher lamentablement. Je parvient cependant à me raccrocher in-extremis à la manche de ma voisine qui ne bronche pas.
Je pousse un soupire de soulagement et me redresse avec le plus de dignité possible. La fille à enfin levé ses yeux de son livre et me fixe froidement d'un air agacé. Je rêve ou je viens de me faire une nouvelle ennemie ?! Et moi qui pensait que mes emmerdes étaient finies ! Je suis vraiment trop optimiste... Bon, on laisse tomber la discrétion et la subtilité, de toute façon, ce n'est pas fait pour moi.
"Salut ! Je m'appelle Aenor. Je suis désolée de t'être tombée dessus. Je ne l'ai pas fait exprès, je te jure !" Je commence en souriant alors que ma conscience me hurle : "Bien sûr que t'as pas fait exprès ! T'allais pas lui sauter dessus, quand même." Parfois, je m'énerve moi même...
L'expression de la fille ne varie pas d'un iota, ce qui ne me semble pas très encouragent. Serais-je victime de la malédiction des vents à répétition ? Je jette un coup d’œil à son visage inexpressif partiellement caché derrière une mèche brune. Vite, il faut que je trouve un sujet de discussion. Allez Aenor, pose lui une question, fait une remarque, parle lui du beau-temps, dit un truc, n'importe quoi !
"Il est sympa ce mur. J'aime bien, pas toi ?"
Je mets un moment à réaliser ce que je viens de dire. Ma conscience un peu moins et se met immédiatement à hurler dans ma tête : MAIS C'EST QUOI CETTE REMARQUE DE MERDE ! Tu es stupide ou quoi ?
Pour une fois, je suis plutôt d'accord avec elle. Pourquoi diable, parmi tous les sujets de discussion possibles et imaginables, j'ai choisi de parler de la décoration du mur ??? (Qui, soit dit en passant, ne casse pas trois pattes à un canard... Enfin c'est un mur quoi.) L’indifférence de la fille laisse place à la surprise, puis à l'incompréhension la plus totale. Son œil visible laissant apercevoir l'énorme bug mental que je viens de provoquer. Le bon côté des choses c'est que j'ai ENFIN réussi à provoquer une réaction chez elle. Le mauvais c'est qu'elle va me prendre pour une débile pour le restant de mes jours... Merde ! Moi qui pensais enfin pouvoir me faire une amie !
Alors que je m’apprête à reprendre la parole et qu'elle continue à me fixer l'œil rond et sa bouche bée (On dirait une carpe borgne, mais ça, je vais éviter de le lui dire...), une voix haut-perchée retenti dans le couloir.
"Nan mais c'est dégueu, quoi !! C'est tellement dégueu qu'j'ai limite envie d'me couper la main !"
Cette chère Flavie... Elle traverse le couloir en poussant des gémissements suraiguës et se lave frénétiquement la main au gel hydroalcoolique. Pathétique. A coté d'elle, Elisa lui tapote l'épaule en me montrant du doit, la faisant pâlir. Elle tente de faire demi-tour, mais Amanda la tire par le bras (le propre bien sûr) et l'oblige à avancer. Cependant, elle passe devant moi en m'ignorant avant de s’arrêter devant ma voisine.
" Les filles, je crois que j'ai trouvée un autre putain de monstre ! s'exclame-t-elle fièrement, Elles vont bien ensemble pas vrai !"
L’inconnue, qui s'était entre temps replongée dans sa lecture et sa musique, lève à nouveau les yeux et retire ses écouteurs. Son indifférence semble avoir à nouveau disparue, vu le regard glacial qu'elle leur lance.
"Et, toi ! L'apostrophe Amanda d'un ton agressif. T'es quoi l'attardée ? Oh, je sais, tu dois être un putain de zombie."
Je me raidie en entendant ce mot. Ma mâchoire se contracte toute seule et mes poings se serrent. Elle vient de dire une énorme connerie.
"Tu t'es trompée de salle. On n'a pas de putain de zombie dans notre classe, heureusement. Continue Amanda. Ça va, t'es pas aussi moche que tes semblables. Mais putain, t'as bien l'air aussi lente ! J'ai pas raison les filles ?"
Et elle éclate de rire, fière de son humour dévastateur, bientôt suivie des ses deux dindes... pardon amies. Quelle bande d'abruties... Je m'avance pour leur mettre une belle tarte (j'ai hâte de voir Flavie se tartiner son gel puant sur la gueule...). Je n'en ai cependant pas le temps. Avant même que je puisse faire un geste, la fille brune se tourne rapidement vers elles, révélant un deuxième œil rouge sang. Amanda se fige sur place, paralysée par cette vison. A coté d'elle, Flavie et Élisa continuent à glousser comme des pintades hystériques sans se rendre compte de la détresse de leur amie. Celle-ci les pousse vers la sortie en marmonnant : " Putain, ça pue trop ici... On va prendre l'air.".
Je soupire de soulagement en les voyant partir. Elles sont vraiment insupportables... Et on voit bien qu'elles n'y connaissent rien. Typique des abrutis espécistes ! Ils passent leur temps à nous critiquer mais ne savent absolument rien à notre sujet ! Un zombie... et puis quoi encore ? Si c'est trois débiles se renseignaient un minimum, elles sauraient que ce genre de pratique est un crime grave ! Très grave même ! Je donne un violent coup de pied dans le mur et me mord la lèvre en sentant mon orteil se tordre. Mais je fais quoi là ? Je m'adosse contre un radiateur et tente de me calmer. Ce n'est pas le moment de péter un plomb. Mais bordel, pourquoi a-t-il fallu qu'elles abordent CE sujet ? Elles auraient pu sortir n'importe quelle insulte. N'importe laquelle ! Mais il a fallu qu'elles choisissent celle-là. Ce simple mot qui à lui tout seul à le pouvoir de me mettre dans tous mes états et de me rappeler à quel point ma vie est merdique. Ma vision devient floue et je sens un liquide salé couler le long de mon visage. Je lève les yeux. La vampire me fixe de son œil vert, l'air décontenancée. Je renifle et m'essuie rageusement le vissage avec ma manche.
"Quelle bande de connes..." Je marmonne pour moi même.
Elle tourne la tête vers la direction prise par le trio et hoche la tête d'un air approbateur. Je souris. Il semblerait que j'ai finalement réussi a établir la communication.
Je m'approche d'un grand panneau au milieu du hall où sont affichés les listes de chaque classe. Je trouve facilement la mienne (la seule pour les 1ère S). A coté du nom de chaque élève est écrit l'espèce à laquelle il appartient. Je suis donc avec une vampire, deux loups garous, une neko et un dragon. Trop cool. Moi qui avait peur de ne me retrouver qu'avec des humains chiants et espècistes, je vais pouvoir me faire au moins quatre amis ! Quoique les loups-garous et les vampires ne s'aiment pas trop (comme quoi l'espècisme n'est pas propre aux humains...) mais au pire, j'arriverais bien à m'entendre avec l'un des quatre... Un groupe de filles apparaît à coté de moi et jette un coup d’œil à la liste.
"Oh putain ! s'exclame une grande brune, visiblement la meneuse, J'y crois pas qu'ils nous ont mis avec des putains de monstres !"
J'espère juste que ce n'est pas de moi qu'elle parle cette conne. Sinon elle ferait mieux de vérifier le contenu de son verre au prochain repas, parce que là, je suis en train de trouver une cobaye idéale pour mes potions ( la dernière fois, j'ai accidentellement provoqué une calvitie chez une de ces pestes. A la base c'était un somnifère mais bon...). Une autre fille, sa clone en plus petite et plus moche, l'interroge.
"Vas-y Amanda, j'vois rien ! Tu peux pas m'dire c'est quoi qu'on va devoir se taper comme saloperies ?"
Des cours de français sûrement, parce que, là, t'en a vraiment besoin.
"Attends, je regarde... Deux caniches sur pattes, une saleté de chat noir , une suceuse de sang, un putain de serpent et une de ces sales sorcières de merde."
Ah, si elle parle bien de moi... Amanda, tu peux dire au revoir à tes "magnifiques" cheveux à moitié cramés par le lisseur et déjà gras comme pas possible (quoique, ce n'est pas non plus une grande perte). Les filles à coté d'elle font une grimace de dégoût.
"L'HORREUR ! S'exclame la naine, On peut pas demander à changer de classe ?
- Ça va être galère, y a qu'une seule première S..., répond une autre, une espèce de pouffe blonde trop maquillée, déçue.
- Génial... En tout cas je les laisse pas s'approcher. Surtout la vampire c'est des putains de saloperie ces trucs-là ! Tu les laisses faire et ils te vident de ton sang, comme ça, putain, en cinq minutes ! s'écrit Amanda."
C'est moi, ou t'es incapable de faire une phrase sans sortir un "putain"?
"Et la sorcière aussi, je veux pas qu'elle me refile ses verrues !" continue la petite moche - elle je lui ferais une potion spéciale Visage-couvert-de-pustules-dégueulasses, comme ça son physique sera plus en accord avec l'animal qui lui ressemble le plus, le crapaud !
-Et un lézard sérieux ! gémit la blondasse, j'l'imagine déjà, avec ses écailles et tout, en train de nous fixer avec ses yeux flippants...
-Heureusement que c'est l'seul mec, putains... A ce qui parait ces loups-garous c'est comme des putains d'animaux, ça saute sur tout ce qui bouge, surtout les mâles.
- Sérieux ! C'est vraiment dégueulasse ! On devrait les enfermer, le monde se porterait mieux...
C'est toi qu'on devrais enfermer plutôt, ça nous éviterais de t’entendre raconter des conneries !
- Ouai. Dans un putain de zoo, après tout c'est leur place ! s'écrit Amanda-la-putain (bah quoi ?) visiblement fière d'elle.
Là c'est trop. Je ne peux pas en supporter plus. Je me retourne vers elles avec un grand sourire hypocrite sur le visage.
"Salut ! Vous êtes en 1ère vous aussi ?
- Oui répond Amanda-la-chieuse avec un sourire aussi naturel qu'une pub Colgate, les dents jaunasses en plus, en me serrant la main. Je suis Amanda Chabot. Et voici Elisa et Flavie."
Elle me désigne successivement le peau de peinture blond et la naine brune qui me serrent la main chacune à leur tour.
"Moi c'est Aénor Howl." Je leur répond en guettant leur réaction, qui ne tarde pas à arriver. Le sourire d'Amanda et Elisa se crispe et se décompose lorsqu'elles réalisent à qui elles ont affaire. Visiblement un peu plus longue à la détente, Flavie-le-crapaud continue de me regarder avec son sourire niais sans lâcher ma main. Elle me fait presque pitié, alors je décide de lui donner un coup de pouce. Je me penche vers elle avec un sourire sadique.
"Désolée, tu vas avoir des boutons."
Puis je lâche sa main et m'éloigne sans leur accorder un regard. J'entend un gémissement dégoutté derrière moi, signe que l'information est enfin parvenue au cerveau de Flavie.
***
Je me dirige vers la salle où ma classe doit se regrouper. L'année commence vraiment bien. Je me suis prise le vent du siècle, me suis ridiculisée en publique et dois partager ma classe avec trois grosses connasses espécistes ! Je croise les doigts en espérant que la suite se passe mieux. Une autre fille attend déjà devant la porte. Elle se tient bien droite dans un coin et lit un gros livre. Elle ne lève pas les yeux quand je m'installe à côté d'elle. Ayant bien retenue la leçon du vent monumentale que je me suis prise dans la cour, je décide de tenter une approche plus subtile. J'essaie de jeter un coup d’œil discret à la couverture du roman. Avec un peu de chance, je l'ai déjà lu et ça nous fera un sujet de conversation. Cependant, elle se décale, ne me laissant ni le temps de lire le titre, ni celui de reconnaître l'illustration. Sympa...
Je tente à nouveau de jeter un coup d’œil et me penche vers elle. Je marche par le même occasion sur mon propre lacet, ce qui a pour conséquence de me faire trébucher lamentablement. Je parvient cependant à me raccrocher in-extremis à la manche de ma voisine qui ne bronche pas.
Je pousse un soupire de soulagement et me redresse avec le plus de dignité possible. La fille à enfin levé ses yeux de son livre et me fixe froidement d'un air agacé. Je rêve ou je viens de me faire une nouvelle ennemie ?! Et moi qui pensait que mes emmerdes étaient finies ! Je suis vraiment trop optimiste... Bon, on laisse tomber la discrétion et la subtilité, de toute façon, ce n'est pas fait pour moi.
"Salut ! Je m'appelle Aenor. Je suis désolée de t'être tombée dessus. Je ne l'ai pas fait exprès, je te jure !" Je commence en souriant alors que ma conscience me hurle : "Bien sûr que t'as pas fait exprès ! T'allais pas lui sauter dessus, quand même." Parfois, je m'énerve moi même...
L'expression de la fille ne varie pas d'un iota, ce qui ne me semble pas très encouragent. Serais-je victime de la malédiction des vents à répétition ? Je jette un coup d’œil à son visage inexpressif partiellement caché derrière une mèche brune. Vite, il faut que je trouve un sujet de discussion. Allez Aenor, pose lui une question, fait une remarque, parle lui du beau-temps, dit un truc, n'importe quoi !
"Il est sympa ce mur. J'aime bien, pas toi ?"
Je mets un moment à réaliser ce que je viens de dire. Ma conscience un peu moins et se met immédiatement à hurler dans ma tête : MAIS C'EST QUOI CETTE REMARQUE DE MERDE ! Tu es stupide ou quoi ?
Pour une fois, je suis plutôt d'accord avec elle. Pourquoi diable, parmi tous les sujets de discussion possibles et imaginables, j'ai choisi de parler de la décoration du mur ??? (Qui, soit dit en passant, ne casse pas trois pattes à un canard... Enfin c'est un mur quoi.) L’indifférence de la fille laisse place à la surprise, puis à l'incompréhension la plus totale. Son œil visible laissant apercevoir l'énorme bug mental que je viens de provoquer. Le bon côté des choses c'est que j'ai ENFIN réussi à provoquer une réaction chez elle. Le mauvais c'est qu'elle va me prendre pour une débile pour le restant de mes jours... Merde ! Moi qui pensais enfin pouvoir me faire une amie !
Alors que je m’apprête à reprendre la parole et qu'elle continue à me fixer l'œil rond et sa bouche bée (On dirait une carpe borgne, mais ça, je vais éviter de le lui dire...), une voix haut-perchée retenti dans le couloir.
"Nan mais c'est dégueu, quoi !! C'est tellement dégueu qu'j'ai limite envie d'me couper la main !"
Cette chère Flavie... Elle traverse le couloir en poussant des gémissements suraiguës et se lave frénétiquement la main au gel hydroalcoolique. Pathétique. A coté d'elle, Elisa lui tapote l'épaule en me montrant du doit, la faisant pâlir. Elle tente de faire demi-tour, mais Amanda la tire par le bras (le propre bien sûr) et l'oblige à avancer. Cependant, elle passe devant moi en m'ignorant avant de s’arrêter devant ma voisine.
" Les filles, je crois que j'ai trouvée un autre putain de monstre ! s'exclame-t-elle fièrement, Elles vont bien ensemble pas vrai !"
L’inconnue, qui s'était entre temps replongée dans sa lecture et sa musique, lève à nouveau les yeux et retire ses écouteurs. Son indifférence semble avoir à nouveau disparue, vu le regard glacial qu'elle leur lance.
"Et, toi ! L'apostrophe Amanda d'un ton agressif. T'es quoi l'attardée ? Oh, je sais, tu dois être un putain de zombie."
Je me raidie en entendant ce mot. Ma mâchoire se contracte toute seule et mes poings se serrent. Elle vient de dire une énorme connerie.
"Tu t'es trompée de salle. On n'a pas de putain de zombie dans notre classe, heureusement. Continue Amanda. Ça va, t'es pas aussi moche que tes semblables. Mais putain, t'as bien l'air aussi lente ! J'ai pas raison les filles ?"
Et elle éclate de rire, fière de son humour dévastateur, bientôt suivie des ses deux dindes... pardon amies. Quelle bande d'abruties... Je m'avance pour leur mettre une belle tarte (j'ai hâte de voir Flavie se tartiner son gel puant sur la gueule...). Je n'en ai cependant pas le temps. Avant même que je puisse faire un geste, la fille brune se tourne rapidement vers elles, révélant un deuxième œil rouge sang. Amanda se fige sur place, paralysée par cette vison. A coté d'elle, Flavie et Élisa continuent à glousser comme des pintades hystériques sans se rendre compte de la détresse de leur amie. Celle-ci les pousse vers la sortie en marmonnant : " Putain, ça pue trop ici... On va prendre l'air.".
Je soupire de soulagement en les voyant partir. Elles sont vraiment insupportables... Et on voit bien qu'elles n'y connaissent rien. Typique des abrutis espécistes ! Ils passent leur temps à nous critiquer mais ne savent absolument rien à notre sujet ! Un zombie... et puis quoi encore ? Si c'est trois débiles se renseignaient un minimum, elles sauraient que ce genre de pratique est un crime grave ! Très grave même ! Je donne un violent coup de pied dans le mur et me mord la lèvre en sentant mon orteil se tordre. Mais je fais quoi là ? Je m'adosse contre un radiateur et tente de me calmer. Ce n'est pas le moment de péter un plomb. Mais bordel, pourquoi a-t-il fallu qu'elles abordent CE sujet ? Elles auraient pu sortir n'importe quelle insulte. N'importe laquelle ! Mais il a fallu qu'elles choisissent celle-là. Ce simple mot qui à lui tout seul à le pouvoir de me mettre dans tous mes états et de me rappeler à quel point ma vie est merdique. Ma vision devient floue et je sens un liquide salé couler le long de mon visage. Je lève les yeux. La vampire me fixe de son œil vert, l'air décontenancée. Je renifle et m'essuie rageusement le vissage avec ma manche.
"Quelle bande de connes..." Je marmonne pour moi même.
Elle tourne la tête vers la direction prise par le trio et hoche la tête d'un air approbateur. Je souris. Il semblerait que j'ai finalement réussi a établir la communication.